En avant


 

Je plaisantais dans ma tête, toute seule, là, et je  rigolais.

Je me disais, pour me rassurer peut-être, que l’hôpital, je connais, je sais faire. Que, à chaque fois que j’y rentre, j’en ressors. Et que j’en ressors les pieds en avant. Et, dans ma tête toujours, je me suis bien regardée de haut en bas.

Mon nez d’abord : c’est vrai qu’il n’est pas petit, petit, mais il n’est tout de même pas aussi imposant que d’autres, et donc, pour sortir le nez en avant, il m’aurait fallu celui de Cyrano!

J’ai pensé alors à ma poitrine, avantageuse quand elle est soutenue. Pour sortir les seins en avant, il aurait fallu me refaire toute entière car je me souviens vaguement, -c’était il y a si longtemps-, que tout jeunes, ils pointaient déjà plutôt vers le bas, contaminés d’une frénésie inexplicable pour émigrer vers le sud.

Mon ventre ? Il a, à ce jour, si je ne me trompe pas, onze cicatrices, des grandes et des pas grandes ; il réussit pourtant à prendre un petit air plat quand je le force un peu, juste assez pour me faire plaisir. Alors pour sortir le ventre en avant, il aurait fallu que je remonte aux années de mes  grossesses, celles où je n’étais que ça, un ventre…

Donc, dans ma tête, sourde aux voix qui parlaient de moi, de mon corps et de chirurgie, je voyais mes pieds, longs et larges, et les imaginais prêts à me servir, et à m’aider dans cette fuite, à me précéder dans la sortie : les pieds en avant, oui, mais debout.

Et voilà que je contemple mon ventrinou, gonflé comme pas deux, et la chaise roulante que l’on m’impose pour partir.

Alors, posément, j’installe mes grands pieds, les pointe vers la porte  et fais signe d’avancer : je suis prête.

Et comme je l’avais décidé avant même d’arriver, je repars, les pieds en avant.

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